Archives de la catégorie ‘Post-it Kult’

Régulièrement, sous la houlette de monsieur le maître de jeu Prunelier, j’ai le plaisir de jouer des parties de jeu de rôle de type « post-it », autrement dit, du jeu de rôle improvisé qui normalement, n’a vocation à se jouer qu’en une seule session (one shot).

J’ai parlé un peu du jeu de rôle improvisé dans un de mes posts précédents dédié au format « post-it » proposé par Prunelier, post auquel je vous renvoie si vous ne connaissez pas le genre.

Pour le reste, disons que j’ai eu le plaisir de pouvoir demander à jouer dans l’univers de mon choix et que cette fois, j’ai dit au maître de jeu : « Tiens, j’aurais bien aimé jouer à Kult, ce jeu de rôle m’a l’air intéressant, mais je n’en ai jamais eu l’occasion ». A ma surprise, il a accepté de relever le défi d’improviser là-dessus, ce qui n’est pas une mince affaire, compte tenu de la richesse potentielle du jeu initial (du moins pour ce que j’ai pu en lire).

Nous avons donc lancé  une première partie dans cet univers, revisité par Prunelier. Et comme on a beaucoup aimé on a refait des parties par la suite, avec d’autres joueurs également. Voici donc ici la première session. Bonne lecture !

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Première partie : 26 novembre 2020

Joueuse : Emma Trees – Médecin généraliste (moi-même)

Emma Trees est une femme brune, les cheveux en chignon, de taille moyenne, âgée de 35 ans et originaire de New-York.

Emma est curieuse et sociable mais d’une nature mélancolique.  Une nature qui s’explique en grande partie par son histoire.

A l’âge de 15 ans, Emma a perdu ses parents dans un accident de voiture qui a fait la une des journaux locaux. A compter de ce jour, elle n’a quasiment plus parlé à quiconque.

Placée dans une famille, Emma a ensuite effectué de brillantes études de médecine mais n’a jamais réussi à nouer de vrais liens avec ses parents d’adoption. Elle a eu durant plusieurs années l’impression d’être plus spectatrice de sa vie que de réellement y participer.

Jusqu’au jour où elle a rencontré Tracey, au cours de ses années universitaires. Tracey était sauvage, pleine de vie. Elle a entraîné Emma dans son univers de fête et de musique doublé d’une affection particulière pour la lecture, en particulier les polars. Emma a retrouvé un peu le goût de la vie à son contact et est redevenue sociable, acceptant désormais d’aller un peu plus vers les autres et de sortir des rêveries dans lesquelles elle s’était réfugiée.

Emma est devenue médecin et est partie s’installer à Chicago, puis en France, à Bordeaux suite à sa rencontre avec Eric, un peintre, qui s’est soldée par un échec.

Emma s’est mise au sport pour se vider l’esprit entre sa vie sentimentale ratée et son passé compliqué. Elle pratique assidument le kick boxing et la natation. Elle aime aussi regarder des reportages sur les voyages et de temps à autre, faire du vélo à la campagne, se poser dans un coin et ne penser à rien ou contempler le paysage.

Mais elle garde le vague espoir qu’une autre vie existe après la mort et qu’elle en profitera davantage.

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Vendredi, fin de journée. Demain matin c’est samedi, je n’aurai que des consultations sur rendez-vous et j’ai prévu de prendre mon lundi. Il reste toutefois un monsieur dans la salle d’attente. Un monsieur usé par la vie. « Bernard Moulin » me dit-il lorsque j’entreprends de créer une fiche patient. Il refuse de me donner son adresse et pose deux billets de 50 euros sur mon bureau. Il souhaite que je lui prescrive des anxiolytiques, ce qui me surprend. Je lui pose les questions habituelles, auxquelles il répond. Il présente des signes de fatigue chronique depuis 5-6 ans me dit-il, il était gendarme mais a démissionné. Il est allergique aux fruits de mer et vit dehors, après avoir tout vendu. Il ne prend pas d’autres médicaments mais un peu d’alcool et de cannabis. Face à son insistance et sa détresse, je lui fais une ordonnance d’anxiolytiques. « Que Dieu vous garde » me lance-t-il avant de partir. Cet homme me laisse décidément une impression étrange.

Je range mon cabinet et je le ferme avant de prendre le volant de ma Mercédès Vito. Je vois Monsieur Moulin traverser un passage piéton. J’entends un coup de frein, un bruit sourd et je vois mon patient étendu par terre, le crâne en sang. Je m’arrête et je me précipite à son secours. Rien à faire dans l’immédiat à part appeler les secours, je n’ai pas le matériel requis pour le soigner.

Quelques minutes qui me semblent longues s’écoulent et les secours arrivent. Monsieur Moulin est terrifié en les voyant : « C’en est un ! » murmure-t-il alors qu’il essaye de crier. Les ambulanciers l’emmènent en dépit de ses efforts pour tenter de s’échapper. Je regarde le véhicule de secours s’éloigner dans la nuit et je regagne mon domicile.

A mon retour, mon chat, Mizie, m’attend, l’air courroucé. Elle a faim, je suis en retard par rapport à l’heure habituelle. Je lui sers sa pâtée et après quelques tergiversations félines elle me saute dans les bras. Je passe ainsi le reste de cette soirée calme de fin d’été lorsque la sonnerie de mon téléphone retentit. C’est la voix de Monsieur Moulin au bout du fil. « Madame la doctoresse, ne vous approchez pas de ces gens-là, ils en font partie » me dit-il avant que la communication ne soit interrompue. Je cherche le numéro mais son appel n’apparaît pas dans le journal de mon téléphone. Je suis perplexe.

Je mange une salade, comme souvent, mais je n’ai pas très faim aujourd’hui. Je me douche et je me démaquille en compagnie de Mizie qui se met à feuler en direction de la porte de la salle de bain. Je regarde en direction de ce qu’elle semble regarder et je crois voir passer une ombre mais nous sommes bel et bien seules dans mon appartement. Ce doit être lié à la fatigue et au stress de cette journée. Je joue un peu avec Mizie qui se comporte un peu étrangement cela dit, elle a l’air distraite par quelque chose. Peut-être un insecte que je ne vois pas ? Puis elle file dans ma chambre et se place stratégiquement sur le lit, comme d’habitude. Je vais me coucher alors me coucher à mon tour. Mizie s’assied à côté de moi et fixe la porte. Bizarre mais bon, passons, je suis trop fatiguée pour m’interroger sur les comportements félins, de toute façon. Je m’endors, non sans une pensée pour ce pauvre Bernard Moulin.

Ma nuit s’arrête lorsque mon réveil sonne. Je me lève, les deux pieds au sol, fidèle à mon rituel du matin. 6h45. Zut, il est trop tôt. Je me rendors donc un peu. Le réveil sonne à nouveau, plus que vingt minutes. Préparation express et départ en voiture, direction le cabinet médical pour mes rendez-vous. Je remarque en partant un SUV garé qui était là hier déjà. Je relève mon courrier avant de prendre le volant. Ce matin, il y a une enveloppe marron dans la boîte aux lettres. En l’ouvrant, je découvre qu’elle contient une clé et une carte grise au nom de Bernard Moulin, avec un avis de cession à mon nom. Mais pourquoi donc ? Vu l’heure je vérifierai cela plus tard, je file à mon cabinet pour honorer mes rendez-vous.

Une fois arrivée, je constate que le cabinet n’a pas été nettoyé, la femme de ménage n’est pas passée. Je dois alors déblayer moi-même ce qui restait avant de recevoir le premier patient. En allant le chercher, je jette un œil par la fenêtre et mon œil est attiré par la fenêtre de la pharmacie d’en face qui a l’air en feu. Je cligne des yeux pour m’apercevoir qu’en réalité il n’y a strictement rien d’anormal. Décidément, cette journée ne commence pas bien.

La matinée passe. Je sors du cabinet après avoir examiné le dernier patient. Alors que je regagne ma voiture, un homme au crâne rasé tente d’engager la conversation. Il s’appelle André et me propose d’aller pique-niquer. Il a l’air gentil mais je suis pressée et je réponds à peine à ses quelques questions avant de remonter dans ma voiture et de retourner me garer chez moi. Là-bas,  je me rends au SUV de Bernard, resté garé depuis hier. Je monte dans le véhicule. Il en émane une odeur épicée, de nourriture. Dans les vide-poches je mets la main sur une grande enveloppe kraft. Plusieurs cartes bancaires sont accrochées derrière les pare-soleil : deux sont au nom de Bernard Moulin et une au nom d’Anne-Lise Moulin. Je trouve aussi un atlas routier, une boussole, un couteau, un petit bol, une petite bouteille d’eau, des lunettes de soleil…le nécessaire de camping pour une personne en déplacement somme toute. Bernard Moulin ne mentait pas, a priori, quand  il m’a dit avoir tout vendu. Sa voiture était devenue sa maison.

J’ouvre ensuite la grande enveloppe en papier kraft : elle contient plusieurs lettres envoyées, une clé USB, quelques photos représentant des diagrammes, des radiographies…d’une espèce…d’ombre oui, comme celle que j’ai cru apercevoir à ma salle de bain hier soir. Il y a également des comptes-rendus d’expériences obscures sur les ondes du cerveau selon l’état de fatigue ou de sommeil du sujet.

En jetant un œil sur la banquette arrière de la voiture, je vois une veste haut de gamme et un béret ainsi qu’une lettre pliée en quatre. Je l’ouvre également. Y sont écrits ces mots : « Ma chérie, j’aimerais que tu ne sois jamais partie. Je pense pouvoir te retrouver. Je t’aime ».

Dans le coffre pour finir, confirmant mes impressions précédentes, je trouve effectivement un nécessaire de camping. Une chose est certaine en tout cas : je n’ai aucune légitimité à récupérer les affaires de Bernard Moulin, je ne sais pas pourquoi il m’a cédé tout cela. Je dois le retrouver pour restitution de ces biens. Je redescends du SUV. C’est curieux, il y a là-bas un chat qui regarde un point, fixement. Arrête Emma, c’est un chat et les chats fixent des points parfois, ce n’est pas le moment de s’attarder sur des futilités.

Suivant mon idée première, je retourne donc à ma voiture pour aller au CHU  où Bernard Moulin a dû être transporté. Toutefois, sur la route, je croise une voiture avec la plaque et le pare-chocs avant défoncés. Serait-ce celle qui a renversé Monsieur Moulin hier ? J’ai juste le temps de noter qu’il s’agit d’une Laguna immatriculée 378 quelque chose.

A un feu rouge, mon téléphone sonne. Un numéro étranger. Je décroche, c’est Tracey mon amie, avec son accent anglais assez prononcé. Mais je n’ai pas le temps de bavarder étant au volant et quasi arrivée à destination. J’abrège donc la conversation, non sans un pincement au cœur, car j’adore Tracey et depuis mon installation en France nous nous voyons rarement.

Une fois arrivée au CHU je rencontre Aude, une collègue, visiblement en pause car elle est en train de fumer une cigarette à l’extérieur. Elle me salue. J’ai la vague impression que le temps est englué à ce moment. Je lui dis tout de même bonjour le plus naturellement possible et je lui demande si elle a reçu aux urgences un certain Bernard Moulin hier, aux alentours de 20 heures. Elle me répond qu’elle n’était plus de service à ce moment. « Mais, tu parles de Monsieur Moulin, celui qui nous avait apporté des dragées il y a cinq ans, lorsqu’il s’est marié ? Parce que tu sais, il avait beaucoup d’amis médecins, il était psychologue et psychiatre ici, il travaillait beaucoup avec les doctorants. Sa femme est morte dans un accident de voiture malheureusement » ajoute-t-elle. Aude m’apprend qu’il n’est plus venu à son bureau depuis quinze jours. Hier soir, le SAMU n’a fait qu’une sortie et est revenu à vide. Elle me décrit les ambulanciers de la veille qui ne ressemblent pas aux personnes que  j’ai vu venir chercher monsieur Moulin, ce que je m’abstiens de lui préciser. Puis elle me demande si je peux faire une dispense de sport pour son fils, ce que j’accepte volontiers. Elle passera avec lui à mon cabinet mardi à 18 heures. Comme elle doit retourner travailler, je prends le chemin du retour avec ma voiture. Au détour de la route, j’aperçois André, en train de tailler des arbres. Quelle étrange journée…

Je me gare chez moi. Je regarde ma boîte aux lettres, c’est curieux, j’ai l’impression que le poteau n’est pas du même côté. Je me frotte les yeux. Non, rien. Décidément, mon esprit me joue des tours.

J’ouvre la porte de ma maison et Mizie me saute au cou. Elle me couvre de câlins, comme à son habitude. Enfin un moment de détente dans ces deux jours mouvementés, ça fait du bien. Je m’assieds sur mon canapé pour aller chercher des informations sur Bernard Moulin sur Internet, le chat sur mes épaules. J’y lis que Bernard Moulin, scientifique, a travaillé sur des écrits, c’était un homme brillant. Puis je branche la clé USB. Un immense fichier s’ouvre avec des tas de documents photographiés, quelques documents textes et une vidéo. Sur cette vidéo, le Docteur Moulin parle : « Je pense que je suis fou, je ne sais pas ce qui se passe, je mets cela en vidéo pour voir si c’est une réfraction ». Une ombre passe alors sur la vidéo avec un halo bizarre au-dessus de sa tête. Rien de plus. Les documents textes quant à eux sont des traductions et des résumés. A propos de livres si je comprends bien qui expliquent la nature du « voile », aussi dénommé « barrière ». Ils sont accompagnés de deux ou trois notes qui parlent d’une barrière, de mondes à côté, notre monde ne serait qu’une copie. L’humain ne serait qu’un pantin tenu par des ficelles. D’un processus pour retrouver des personnes qui se seraient perdues. Ce qui explique que Bernard Moulin cherchait probablement sa femme même si tout cela s’apparente plutôt à un charabia un peu occulte. Suivent sur la clé des tonnes de photographies de pages de livre « L. 1 p.1 » jusqu’à « L1 p. 92 ». D’un seul livre en fait, intitulé « Le voile/barrière » d’après les traductions effectuées par Monsieur Moulin. Le livre a une couverture assez fine, qui recouvre une fine couche de bois. Tout cela est décidément bien mystérieux. Je referme mon ordinateur sur ces réflexions.

Je regarde l’heure. Il est trop tôt pour rappeler Tracey avec le décalage horaire.

Je retourne au SUV de Bernard en vélo pour garer le véhicule devant chez moi, ce sera mieux que de le laisser en stationnement où il était, il risquerait d’être enlevé s’il stationne trop longtemps sans bouger. J’ouvre le coffre pour y mettre mon vélo. J’ouvre l’atlas pour chercher où Monsieur Moulin pouvait bien se rendre mais il n’y a rien dans le livre. En revanche, je remarque que la console du SUV a été déplacée. Je la rebranche et je consulte les dernières destinations du GPS. Y figurent l’adresse du musée d’histoire archéologie de Bordeaux, d’un restaurant sympathique et du musée Paul Diny, à Villefranche sur Saône, dans la région lyonnaise.

Sur les traces de Bernard Moulin, je me rends donc au lieu le plus proche, le musée archéologique de Bordeaux.

(…à suivre)