Archives de la catégorie ‘Ecriture’

Entre rêve et réalité

Publié: 26 décembre 2022 dans Ecriture

Un autre essai d’écriture 🙂

***

Je marche sur le fil ténu qui sépare les rêves de la réalité. Je suis une marcheuse du temps. Je suis immortelle. Je suis un funambule et vous êtes tous là, vous êtes venus me voir je vous entends applaudir en bas. Mais je ne vous vois pas. Lorsque mes pieds touchent la matière froide des cercles se forment à l’infini. C’est de l’eau ? Peut-être qu’il y a des poissons. Des carpes koï, j’aimerais bien en revoir, comme quand j’étais enfant dans le bassin du jardin. Elles étaient si belles marbrées de rouge et de blanc, évoluant gracieusement sous les feuilles de nénuphar. Je les regardais glissant sous l’eau tandis que l’eau me renvoyait mon reflet, celui de l’enfant blonde et bouclée aux yeux noisette que j’étais.

Je suis une fée à présent. Je suis là, lovée entre les nuages, bercée par la brise légère et vaporeuse du vent nocturne. Je vole si haut si loin, droit vers toi. Lune au sourire amical, prends-moi dans tes bras, il n’y a plus que nous à présent…

Au cours de mon ascension je regarde en bas ma maison si petite à présent aux fenêtres encore éclairées. C’est ici que je vis avec ma famille : Eve et Esteban mes parents, Lucas mon petit frère et Julia ma grande sœur. Je nous vois encore hier attablés et riant, nous racontant nos journées respectives :

– Alors Lucas, c’était bien ta journée à l’école ? Tu as fait quoi ?

– J’ai joué aux legos et on a fait de la peinture !

Il arbore fièrement son tee-shirt bariolé de rouge et vert tandis que maman songe à la prochaine lessive en souriant béatement, partagée entre un sentiment de fierté et une résignation toute maternelle.

– Tiens, intervient Julia, vous voulez que je vous raconte une histoire ? Aujourd’hui j’ai vu une libellule bleue alors que j’étais partie analyser des rochers sur la montagne…

Ma sœur a toujours été férue de géologie, je la reconnais bien là, si joyeuse à l’évocation des animaux croisés avant l’analyse passionnante d’un minerai aux propriétés magnétiques…Un sujet qui passionne beaucoup moins papa qui finit par décrocher un peu du récit.

J’entends frapper à la porte, ça y est le voilà, il arrive !

Loïc mon premier amour aux cheveux bruns brillants et aux dents si blanches. Il sent si bon… Il vient me chercher pour m’amener au cinéma. Je dévale l’escalier parée de ma plus jolie robe d’été et de mes chaussures à boucle argentée. « Ne rentre pas trop tard ! » me lance maman en passant. « Oui oui ! » dis-je en refermant la porte derrière moi avant d’embrasser mon aimé. Il prend ma main et nous commençons à marcher, noyés dans un amour à la face des autres qui feignent l’indifférence ou la bienveillance. De toute façon, cela n’a aucune importance nous sommes heureux ici et maintenant…

On frappe encore à la porte.

Loïc, c’est toi qui viens me rendre visite ?

Nous sommes à la plage à présent, corps dorés sous le soleil blanc. La plage est déserte, comme un lundi hors saison mais il fait si chaud… Dans mon maillot deux pièces rayé je glisse mes pieds dans l’eau bleue. Tiède plus que fraîche, ses vagues lèchent doucement mes chevilles, laissant une fine pellicule d’écume sur le sable. J’y avance aisément jusqu’à plonger mon corps entièrement, les cheveux lâchés dans la piscine salée. Je ferme les yeux et j’écoute le faux silence des profondeurs, troublé par quelques crissements au loin. Des crissements de pneus, de roues ? Non, ce sont ceux d’une bouée enchaînée au large. Je retiens mon souffle, une seconde, deux, trois, j’ai du mal à compter cela semble une éternité. Quatre, cinq… Il faut remonter. D’un mouvement souple et puissant je refais surface et regarde autour de moi. Où est passée la plage ? Je crois que je vois quelqu’un au loin. Mais qui ?

Elise ?
J’ai entendu mon nom, je ne suis pas seule. Je nage vers le rivage et je retrouve Loïc. Il a l’air si heureux. Son regard porte vers mon ventre, rond comme un ballon.

– Qui veut de l’eau ? demande papa, saisissant la carafe.

– Chéri c’est mon assiette que tu es en train de remplir, manifeste maman, rieuse à présent.

Lucas joint ses éclats de rire à ceux de maman. Ses boucles brunes encadrent son visage poupin tandis qu’il laisse paraître les dents qui lui restent. La petite souris passe souvent ces temps-ci.

Et moi ? Personne ne me parle ou bien… ? Non, ils n’ont pas l’air de me voir.

Hey j’ai passé une bonne journée ! J’ai vu mon amie Sonia, nous avons regardé un épisode de la série La petite maison dans la forêt et…vous m’écoutez ?

« Madame Dumont ? »

Oui ? Aïe j’ai mal. Je souffle encore : un, deux, un, deux. Il arrive ! J’ai mal mais je tiens bon pour toi allez, viens au monde, rejoins-nous. Martial. Un joli prénom, Loïc est d’accord. Comme nous serons heureux tous les trois !

Puis je plonge dans un océan vert. Une forêt ? Non, un jardin. Des hortensias roses et bleus ont été plantés dans un coin, ils sont florissants. J’aime tant jardiner. Je crois que c’est moi qui les ai plantés. En contrebas, des dahlias ont poussé. On dirait des pompons roses de loin.

Pourquoi tout est si silencieux ? Que me voulez-vous ?

Entre le bruit de fond d’une télévision et des bavardages j’aperçois une silhouette familière. Sonia ! Tu es là toi aussi ! Tu t’en fais pour moi je le sais. Ne t’en fais pas, je vais bien. Et regarde, j’ai acheté un livre qui te plairait : les larmes du reptile. Tiens prends le. Si si, ça me fait plaisir !

… (silence)

J’avance dans un dédale de salles vides jusqu’à un autel. On dirait que quelqu’un m’attend. Qui est ce monsieur aux cheveux blancs et aux yeux bleus si tendres qui serre mes mains dans les siennes ? J’ai l’impression qu’on se connaît mais son visage ne trouve pas d’écho dans ma mémoire. Je suis désolée monsieur vous avez l’air triste que je ne vous rende pas votre regard aimant mais nous ne nous connaissons pas et vous savez combien il est difficile d’être intime avec un inconnu. Lâchez moi, vous me mettez mal à l’aise. Sa silhouette se dissipe dans une brume grise, mystérieuse tandis que je regarde les murs de la salle vide et silencieuse. Où devais-je aller déjà ? Ha, il y a une porte là-bas. Je m’y dirige et j’abaisse la poignée…

Je me suis levée ce matin et dans la glace, j’ai vu mes premiers cheveux blancs. L’esquisse d’une ride gravée dans la fossette aussi. Le temps passe si vite.

Martial a eu dix-huit ans hier. Il commence la conduite accompagnée, son père est fier de lui transmettre son savoir. Moi je suis fière de mon fils et de ma famille. Pour le reste, je travaille toujours au cabinet médical, je prends les rendez-vous pour le Docteur Marchand. Avec Sonia, nous allons danser tous les jeudis, mon moment de défoule de la semaine, résolument. Parfois, d’autres amies nous rejoignent après le cours pour aller boire un verre. Puis je rentre chez moi, retrouvant mes deux hommes. Le repas est prêt, cela tombe bien je suis affamée. Par contre, la viande aurait gagnée à être un peu plus cuite, elle fond presque trop sous la dent. Je garde ces réflexions pour moi car je sais que Loïc a fait de son mieux et je savoure le plaisir de mettre les pieds sous la table. Sans mettre les coudes dessus, comme maman me l’a appris il y a bien longtemps.

Je navigue dans cette toile immense, noire. Seule, dans ce silence. Mes pas résonnent dans le champ alors qu’il n’y a rien de visible sous mes pieds. Du bout des doigts j’éclate les bulles une par une : celle qui contient une petite maison en premier. Puis celle d’un bébé qui n’est jamais né. Les souvenirs se dispersent aussitôt dans l’obscurité, évaporés.

Alzheimer. Un mot qui résonne dans mes oreilles depuis trois ans maintenant. Trois ans peut-être deux ou quatre je ne sais pas les souvenirs s’emmêlent dans ma tête, les objets, les gens autour de moi. Alors je me réfugie dans mon monde, loin des étrangers et d’un univers que je ne comprends plus. Je suis bien là-bas.

« Madame Dumont ? »

Mais que me veut donc encore cette infirmière ? Elle est bien gentille mais je n’ai pas besoin d’elle, allongée tranquillement dans mon lit. Laissez-moi donc…rêver…

Frisson de saison (poème)

Publié: 26 décembre 2022 dans Ecriture, Poésie

A l’aune des arbres mordorés

Je marche sous la pluie les chaussures mouillées.

L’humidité me fait un peu frissonner.

Longeant le canal je me hâte de rentrer,

Perdue dans un songe automnal.

Soleil voilé des journées hivernales,

L’époque des cheminées et des soirées chez soi,

La morsure du froid sec et tenace…

Frisson qui me glace.

A l’abri derrière la fenêtre je regarde la neige tomber,

Savourant le silence de la ville gelée.

Les fleurs éclosent et les températures s’adoucissent

Mais au matin avant que la rosée ne vienne s’y accrocher

La nature se pare d’un voile givré.

Je serre mes bras enlacés,

Saisie d’un frisson printanier.

Voici revenir la chaleur et les champs de blé,

Le teint hâlé et l’eau qui perle sur les corps.

Je sens ton regard qui me dévore.

Ta main effleure ma peau, provoquant le subtil effet

Du frisson léger précédant tes baisers…

Délice d’été.

Le royaume des sables (essai)

Publié: 26 décembre 2022 dans Ecriture

Un petit essai d’écriture sur de la dark fantasy 🙂

***

La barrière magnétique qui séparait le royaume des sables des terres extérieures tremblait de façon anormale.

Sygir essaya d’actionner un des leviers de stabilisation, sans succès. Cela faisait bien 50 ans que tout était calme et prospère ici, en terre d’Istara et il ne comprenait pas ce qui générait cette anomalie.

« Méran ! » appela-t-il.

Le deuxième garde-barrière arriva à ces mots. Un grand gaillard au teint mat, les cheveux bruns sous un casque métallique rond, en uniforme réglementaire vert kaki, pantalon et chemisette à manches longues pour la saison clémente qui était en cours.

« Oui ? » dit-il en faisant irruption au poste de contrôle.

« Il y a un problème avec la barrière » l’informa Sygir. « Regarde, elle semble vaciller par moments ».

Effectivement, la barrière, habituellement transparente et moirée, semblait par moments, quelques fractions de secondes à chaque fois, se strier, comme un hologramme instable. Puis elle retrouvait son apparence habituelle.

« Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » lâcha Méran en attrapant ses outils de réglage. Il s’acharna à régler les machines pendant une bonne demi-heure, après avoir effectué les inspections d’usage. Cependant, malgré ses efforts, la barrière ne semblait pas retrouver sa stabilité.

« Sygir, va prévenir le palais, on a un réel souci là ».

***

« Il arrive, il arrive, je le sens ! »

« Tremble, ô reine, car je suis en chemin. »

Les déserts bicolores d’Istara se teintaient de sang. Une déferlante obscure s’abattait sur les steppes qui jouxtaient le royaume blanc. Quelques villageois rescapés fuyaient en hurlant. Plus pour longtemps. Dans un dernier souffle, la lame d’acier echtolienne heurtait leur crâne, sifflant sa mélodie funèbre, dont l’écho se propageait jusqu’aux entrailles de la planète.

L’armée de mille démons qui suivait piétinait leurs cadavres, dans un cri d’allégresse inhumain. La vague noire serait bientôt là, la reine le savait.

Karela se crispait sur son fauteuil, le regard perdu dans le vague, sous l’œil inquiet de ses conseillers, Tréor et Plinthius.

« Que voyez-vous ma reine ? » demanda Plinthius.

« La fin du monde. » répondit-elle, le visage blême.

La souveraine d’Istara se leva péniblement de son trône, encore étourdie par ses visions, réfléchissant au moyen d’empêcher l’inévitable de se produire.

***

« Nous y sommes presque » annonça le lieutenant des ombres.

Le chevalier démon attrapa une longue vue qui zooma vers la frontière d’Istara.

« Nous avons presque réussi à faire tomber la barrière, cela ne devrait être qu’une question de minutes avant que nous puissions passer » poursuivit le lieutenant, souriant à ces mots.

Le chevalier démon darda du regard le visage gris du lieutenant qui ne put s’empêcher de reculer légèrement, tentant tant bien que mal de garder une contenance face aux yeux rouges qui le fixaient derrière le casque en métal noir. Des yeux qui n’avaient rien d’humain. Comme le corps qui les accompagnaient, entièrement recouvert d’une armure résistante en métal léger, noire elle aussi. Il hocha la tête en signe d’approbation avant de reprendre sa longue vue pour profiter du spectacle, au grand soulagement du lieutenant qui ne demanda pas son reste et repartit s’occuper des troupes.

A quelques mètres, l’armée sombre officiait, frappant la barrière à coups redoublés tandis que les mages incantaient. Certains tombaient au sol d’épuisement dans l’indifférence générale. Le dôme transparent offrait une grande résistance mais commençait à trembler, les efforts conjugués de la magie et de la force brute commençant à avoir raison de lui. Le chevalier démon rangea sa longue vue et marcha lentement, d’un pas lourd mais déterminé, vers son armée.

***

« Plinthius, rassemble nos armées et dis aux habitants de se barricader. Immédiatement » ordonna la reine.

«  Bien, Majesté ».

Karela se retira dans ses appartements pour réfléchir un moment, loin du tohu-bohu du palais en alerte à présent. Les servantes avaient entendu l’ordre donné et la nouvelle se répandait comme une traînée de poudre au palais et partout dans le royaume à présent.

Elle se remémora cette époque qui semblait si ancienne mais ne l’était pas tant. Son enfance au royaume voisin de Galeon, lorsqu’elle courait dans les champs en fleurs. Son père Ménélor maintint paix et prospérité pendant des décennies. D’une main de fer pour sûr ! Il veilla à transmettre à sa fille le sens du devoir et l’autorité qui sied à un gouvernant. Comme ce jour où elle avait assisté pour la première fois à une exécution sur la place publique : « Ma fille, un souverain digne de ce nom ne saurait se laisser aller aux émotions. C’est d’une main ferme et solide que tu tiendras les faibles et les puissants ». C’est donc sans une larme qu’elle avait regardé choir la tête du malandrin surpris en train de voler dans les réserves royales la veille. Seul son rang de jeune nobliau lui avait épargné la pendaison honteuse. En guise d’avertissement, son corps était toutefois resté exposé cinq jours à la merci des charognards avant d’être brûlé. Un sort bien mérité car les lois de Galeon ne pouvaient être transgressées sans châtiment approprié. C’est à ce prix que la dynastie des Démétrils conservait le pouvoir depuis plusieurs décennies.

Karela revit aussi son frère, Gaëtan, si beau, si doux. Ménélor l’avait adopté alors qu’il n’était qu’un nourrisson, peu avant la naissance de Karela. Tous deux jouaient ensemble, se confiaient leurs secrets, leurs rêves… Ils se cachèrent pendant deux jours derrière les écuries du palais, ayant enfin réussi à échapper à leurs serviteurs respectifs. Karela se souvint d’avoir ri en voyant la pauvre Fara qui courait dans la cour en criant son nom. Le soir venu ils sortirent de leur cachette et regagnèrent leurs appartements respectifs sous l’œil noir de Ménélor qui ne fit aucun commentaire. Karela ne revit jamais Fara mais préféra ne pas poser de questions.

Puis Gaëtan partit faire la guerre lorsque des hordes mystérieuses attaquèrent Galéon. Karela avait tant pleuré, terrifiée à l’idée qu’il meure là-bas. Les mois avaient passé, Karela comptant les jours, sans nouvelles de son frère. Son père l’avait convoquée alors qu’elle venait de fêter ses 19 ans : « Ma fille, il est temps que tu te prépares à régner ». Karela n’avait pas hésité, soucieuse de remplir son devoir, suivant l’éducation requise. C’est à ce moment que les visions avaient commencé.

La première fois, Karela vit de la fumée au loin sur une terre désolée, pensant simplement avoir rêvé. Mais la nuit suivante, la vision se précisa : un homme en armure, immense, démesuré, inhumain, menait une bataille dans les terres du centre. Les gens mouraient par dizaines…Elle se réveilla en sursaut, le cœur battant.

La troisième nuit elle vit Gaëtan. Son cœur bondit. Il n’avait pas changé, ses longs cheveux bruns tombaient en cascade sur ses épaules. Il tenait son casque à la main. Quelqu’un lui parlait. Gaëtan posa un genou à terre. Une main maigre aux ongles longs se posa sur son épaule, tel un père parlant à un fils. Une autre main tendit une fiole que Gaëtan but d’un trait. « Que fais-tu mon frère ? » songea Karela. Gaëtan se tourna vers elle, l’air menaçant, la dardant de ses yeux comme s’il la voyait. « Mon devoir, Karela, pourquoi ? » répondit une voix abyssale, gutturale. Karela plongea ses yeux dans les siens et ne put réprimer un cri de terreur lorsqu’elle vit les orbites vides emplis d’une lueur rouge qui la fixaient. Elle se réveilla en pleurs. « Ce n’était qu’un cauchemar » se rassura-t-elle, tremblante dans ses draps trempés de sueur.

Au bout de deux ans, toujours sans nouvelles de Gaëtan, Karela commença à perdre espoir. Il avait dû mourir sur un champ de bataille, son corps brûlé par l’ennemi et personne ne lui en dirait jamais rien. Entre-temps, son père avait conquis Istara et plaça sa fille sur le trône. Istara, dont était originaire Gaëtan songea Karela. Quelle triste coïncidence. Obéissant aux ordres du roi, elle prit ses fonctions. De toute façon, Gaëtan aurait souhaité le meilleur pour son pays. Karela était donc bien déterminée à protéger Istara comme son propre enfant. Une cérémonie fut organisée pour le couronnement. Mais à peine la couronne posée sur sa tête, elle entendit une voix :

« Que fais-tu ici, usurpatrice ? ». Karela blêmit en reconnaissant la voix gutturale. Elle chercha du regard dans l’assemblée qui pouvait bien lui parler mais ne vit personne s’adressant à elle.

« Qui es-tu ? » dit-elle à haute voix.

« Votre nouveau conseiller, Plinthius » répondit l’homme aux lèvre pincées à sa droite. Karela lui adressa un sourire avant de se dire qu’elle ne parlerait plus à voix haute si elle ne voulait pas passer pour folle.

« Allons, Karela, tu sais bien qui je suis » reprit la voix terrifiante, plus forte.

« Ga…Gaëtan, c’est toi ? » pensa la jeune reine.

« Oui, nous nous aimions, tu te souviens ? »

« N’est-ce pas encore le cas ? »

La voix éclata en un rire rauque, mauvais, qui résonna dans le crâne de Karela à lui en faire mal.

« Tout va bien ma reine ? » demanda Plinthius, la voyant se prendre la tête entre ses mains.

Karela reprit rapidement contenance « Oui, ne vous inquiétez pas. Quelle belle journée n’est-ce pas ? ».

La voix se tut.

Le début de son règne fut un peu chaotique mais les débordements rapidement gérés et Karela se révéla être une reine digne de la dynastie Démétril, faisant régner l’ordre sans faillir. Les populations l’applaudissaient, la louaient, érigeaient des statues pour elle. Karela se sentait aimée, ignorant les méthodes de ses officiers et conseillers qui faisaient payer de lourds tributs sur le peuple et s’assuraient que la reine ne voie que les aristocrates satisfaits et bien éduqués qui la soutenaient tant qu’ils y gagnaient. Pendant ce temps, la guerre faisait toujours rage à Galéon. Karela n’avait que des nouvelles distillées et éparses à cause de la barrière qui séparait Istara du reste du monde. Deux années de plus s’écoulèrent. Jusqu’à ce jour de printemps où Sygir arriva essoufflé au palais : « Ma reine, ma reine, il y a un problème avec la barrière… ».

La frontière allait être piétinée par l’armée des ténèbres.

« Gaëtan, qu’es-tu devenu ? » lança-t-elle par télépathie, tentant une dernière fois de lui parler.

Quelques secondes s’écoulèrent, pesantes. Puis la voix lui répondit :

« Le seul vrai roi de ces terres, Karela ». Elle ajouta en sifflant : « Ce trône sur lequel tu t’asseois me revient de droit. Tu connais bien les lois pourtant… Je suis l’aîné et le seul prétendant légitime d’Istara ».

«  Voyons Gaëtan, tu n’as été qu’adopté, tu serais mort si Père ne t’avait pas recueilli. Je suis sa fille unique il est normal qu’il me nomme à sa suite. Pourquoi n’es-tu pas revenu plus tôt ? Nous aurions pu discuter de ton héritage… »

Le rire lui répondit encore. Inhumain. Mauvais.

« Karela, que tu es naïve. Ton cher Père a tué mes parents et s’est emparé de notre royaume. Il t’a placée ici, fidèle pion que tu es ». Karela tressaillit légèrement à ces paroles mais n’en laissa rien paraître. Ainsi, il avait fini par découvrir la vérité ? A ceci près qu’il se trompait : elle n’était pas un pion car elle, contrairement à lui, avait toujours su la vérité.

« D’où tiens-tu des idées pareilles Gaëtan ? » lança-t-elle dans une tentative d’apaisement.

« Appelle-moi Primal » rétorqua froidement le chevalier démon, regardant la barrière se briser enfin.

Primal. Karela comprit à cet instant. Primal, le démon enfermé des millénaires plus tôt dans la tour echtolienne des terres du sud. Depuis, le désert avait repris ses droits sur ces terres désolées où plus personne ne vivait. Les rares nomades qui circulaient dans cette zone évitaient la tour comme la peste, tant d’après les rumeurs des émanations démoniaques se faisaient sentir. Et Gaëtan lui, même si elle ne savait pas encore comment ni pourquoi, avait libéré ce démon, certainement. En tout cas, il lui avait donné son corps…et son âme. Le cœur de Karela se brisa à cette pensée qui dépassait toutes les horreurs qu’elle aurait pu imaginer.

L’armée du chevalier démon franchit la frontière et commença à marcher sur le palais, pillant et tuant tout ce qui se trouvait sur son passage. Depuis sa fenêtre, Karela aperçut les premières fumées au loin. Pour la première fois de sa vie elle se sentait en danger. Elle pleura amèrement, entre peine, dégoût et incompréhension pendant plusieurs minutes. Puis elle se décida, le cœur lourd, à retourner voir ses conseillers pour trouver une solution qui permettrait d’assurer la paix au royaume d’Istara. A n’importe quel prix. Car Karela craignait autant son père que le chevalier démon.

MES PLUS BELLES RENCONTRES

Publié: 4 avril 2022 dans Ecriture

Un jour à l’aube de ton adolescence,

Tu t’apprêtes à les retrouver dans la cour de récré,

Armés de leurs préjugés et de leurs solutions toutes trouvées.

Pour eux tu es un démon qui emploie des gros mots,

Il faut t’interner, t’hospitaliser, t’envoyer en HP.

C’est tout ce qu’ils ont trouvé, justes désemparés

Face à ta souffrance, écho injuste de ton innocence.

Les poignets entaillés tu cries au milieu d’une route ployant sous le poids de ton fardeau

Lançant un appel au secours dans un monde dont tu as déjà fait le tour.

Perchée sur un arbre à la lueur du soir tu m’appelles

Je te regarde petit ange sur fond noir

C’est la dernière fois que je te vois, mais ça je ne le sais pas.

T’as sauté sur la voie ferrée, à pieds joints dans la vie éternelle.

Tes yeux bleus hantent encore ma mémoire…

On ne vit pas tous les mêmes histoires.

**

Un autre jour se lève …

Toi tu avais la beauté, la gentillesse et des enfants.

Quand les mariés se sont dit oui on bavardait et on buvait. Tu souriais, je m’en souviens.

Tu m’as même souhaité la bonne année.

Un matin, le téléphone sonne…cette fois c’est la bonne.

Est-ce que tu as regretté cette idée folle quand ta tête a heurté le sol ?

A tes funérailles ils ont dit que tu étais alcoolique et que tu leur avais parlé de façon cynique.

Qu’est-ce qu’on fait dans cette pièce tragicomique ?

Leurs paroles résonnent vides de sens dans la pièce où tu gis :

« Regardez il a l’air endormi ! »

C’est ton corps sans vie qu’on a maquillé en Madone.

Il faut croire que la vie est un grand bal masqué

Que tout le monde ne sait pas danser.

**

Les paroles des autres m’étonnent et détonnent avec mes souvenirs,

Des couperets que je n’ai pas vu venir…

Pourquoi vous dénigrer, jeter au caniveau votre être, vos maux ?

Je plonge dans vos miroirs brisés essayant de recoller les morceaux

Il aurait pourtant été plus simple de juste vous trouver beaux…

On ne croise pas tous les mêmes personnes.

**

Et toi, toi, tu étais malade.

Le cancer est un animal aux griffes acérées qui ne lâche jamais sa proie.

Dix ans de cela qu’il t’avait attrapé une première fois,

Et maintenant le revoilà.

Deux années à trimer pour une longévité relative

Alors que le glas a déjà sonné de façon définitive.

T’as fini en soins palliatifs, dernière station avant le terminus.

J’avais pas compris qu’ils allaient arrêter la ligne de bus.

Tu m’as dit « merci », petit corps plié sous deux draps,

Page écornée d’une âme qui s’en va.

Je t’ai apporté un caillou censé soulager la douleur, ne sachant comment t’aider

Tellement de gratitude dans ton regard, cela aurait dû m’alerter.

J’étais à la plage quand on m’a appris que tu étais parti vers d’autres rivages.

La vie n’est pas toujours une belle balade.

**

Vous êtes pour moi autant de cœurs envolés dont les rires volent en éclat sur les feuilles de papier que j’ai gardées.

Vos sourires éclairent encore mon passé et vos regards brillent dans le brouillard de mes rêves.

Au crépuscule de ma mémoire je pourrai redire sans trêve :

A l’heure de rendre des comptes vous figurerez sur la liste de mes plus belles rencontres.

Les herbes du rêve

Publié: 21 février 2022 dans Ecriture

Dans le cadre des soirées lecture/écriture organisées sur Tales of Pi, un petit essai de ma composition. Le thème proposé était « Vision du futur ».

– Qu’est-ce que tu vois Ompa ?

Le chaman lança les osselets sur la terre ocre et les examina attentivement avant de répondre :

– Un vol d’oiseaux au soleil couchant, fils. Ses breloques de branchages et d’ossements tintèrent légèrement quand il releva la tête.

Amani contempla l’astre au loin qui couvrait le ciel d’un tapis rougeoyant mais ne vit aucun oiseau.

– Tu es sûr ? Je ne vois aucun oiseau à l’horizon.

– Reviens me voir demain, après dîner, fils.

– D’accord, bonne nuit Ompa.

Amani s’éloigna, laissant derrière lui le vieil homme dans sa cahute en bois. Il s’arrêta un instant pour regarder encore une fois le ciel. Une nappe sombre commençait à le recouvrir par côté, annonçant la nuit. Amani ferma brièvement les yeux, savourant la brise tiède de la soirée qui effleurait son visage et la douceur de la terre argileuse sous ses pieds nus. Puis il marcha d’un pas rapide jusqu’à son logis où sa mère l’attendait pour dîner. L’odeur douçâtre des épices mêlées au bois brûlé emplit ses narines, le mettant en appétit et il s’assit sur le sol de la pièce commune, face à sa mère. Elle lui tendit un bol qu’Amani s’empressa de porter à ses lèvres. Il était affamé en réalité après avoir passé la journée à courir autour du village, contenant difficilement son impatience.

– Mère, quand Ompa reviendra-t-il parmi nous ? demanda-t-il.

– Il faut attendre la troisième lune, tu sais bien Amani, répondit-elle sobrement avant d’ajouter : « tu devrais songer à te reposer d’ailleurs, tu passes trop de temps au soleil c’est mauvais pour l’esprit ».

– Je cherche les signes, Mère, tu sais bien.

– Oui mais cela est inutile Amani. Nous t’avons expliqué que la patience est reine. Tu devrais la pratiquer. Ompa médite tout le jour durant pour percevoir les signes et ce, depuis son enfance. Allez, va te coucher à présent il est temps.

– Oui Mère, bonne nuit.

Amani embrassa tendrement Leandra sur sa joue ridée. Il jeta un œil attendri à sa peau brune tannée par le soleil et les années. Pourtant ses mains étaient toujours douces. Mais elle semblait fatiguée depuis quelques jours, ses traits étaient plus tirés que d’habitude. Trois jours auparavant, Ompa avait annoncé ici même la venue de la troisième lune. Mère avait blêmi et attrapé la main d’Amani. Puis elle l’avait regardé en souriant et lui avait dit d’aller jouer. Depuis, Ompa avait revêtu sa tenue de cérémonie et s’était retranché dans la cahute ouest. Il y passait des journées entières, seul. La présence de son père manquait à Amani. Mais mère lui avait dit de patienter alors…Amani s’endormit paisiblement en pensant aux étoiles qui illuminaient le ciel maintenant.

Le lendemain, le jeune garçon se leva aux aurores. Il courut regarder le ciel. Quelques ibis volaient. La steppe se réveillait doucement, baignée dans la lumière matinale. Mina, la fillette des voisins, le salua de la main depuis l’entrée de sa cahute, située en face de celle d’Amani.

– Amani, Amani ! Tu voudras jouer aux chasseurs cet après-midi ? Lança la fillette.

– Non Mina, je dois rester au calme d’après Mère. Si tu veux, on pourra jouer demain.

Mina secoua ses boucles brunes d’un air résigné et rentra chez elle.

– Tu as bien dormi Amani ? Demanda Leandra.

– Oui mère. Et toi ?

– Très bien Amani.

– Tu as l’air fatiguée Mère, es-tu sûre que tout va bien ? Peut-être faudrait-il que je te ramène des herbes du rêve, cela te ferait du bien.

– Tu as peut-être raison, fils. Vas donc en cueillir aujourd’hui. En chemin, tu pourras t’arrêter à l’autel des ancêtres et déposer une offrande, ce sera une bonne chose à faire.

– J’y vais de ce pas !

– Attends alouette, je te donne de quoi manger pour midi, ce n’est pas à côté, dit Léandra avec un sourire. Et couvre toi la tête !

Amani mit le petit repas emballé dans des feuilles ainsi que le paquet contenant les offrandes dans son sac de toile, un linge enroulé autour de son crâne lisse et sortit aussitôt, bien décidé à trouver les herbes du rêve. Elles poussaient en haut de la colline, à cinq kilomètres du village. Il se mit en marche sur la terre sèche et poussiéreuse, sous un soleil déjà chaud. Il vit au loin un troupeau d’herbivores paissant paisiblement une des rares zones herbeuses de la région. Quelques cactus parsemaient le chemin. Ils pouvaient toujours servir pour boire en cas de besoin songea l’enfant. Tout en marchant, Amani repensa aussi aux visions de son père : la veille il avait parlé d’un vol d’oiseaux en soirée. L’avant-veille, d’un nuage de poussière. Son père ne se trompait jamais mais pour le moment, Amani n’avait vu aucun de ces signes. Et pourquoi ses parents se comportaient-ils de façon si bizarre à l’annonce de cette troisième lune ? Amani rassembla ses souvenirs. Il avait entendu l’histoire de la première lune, la lune blanche. Un jour, il y a plusieurs milliers d’année elle avait viré au rouge et la terre s’était embrasée. Depuis, il n’avait plus jamais fait froid. Certaines créatures avaient disparu de la planète mais l’humanité s’était adaptée. Le jeune garçon ramassa un caillou et joua machinalement avec tout en continuant à marcher.

Au bout d’une demi-heure, il arriva au pied de la colline. Cette dernière était couverte de plantes diverses. C’était un des rares endroits où l’on trouvait des herbes vertes d’ailleurs, pour une raison inconnue. Une petite niche avait été creusée au pied du monticule, dans la terre meuble. L’intérieur avait été tassé, sculpté et peint. De petites figurines d’argile avaient été déposées représentant un homme et une femme étrangement vêtus. Ils portaient avec eux des objets en forme d’équerre qu’Amani ne connaissait pas, peut-être des armes. Tout ce qu’il savait c’est que ces gens étaient les ancêtres et qu’il fallait honorer leur mémoire car c’est grâce à eux que le peuple d’Amani avait survécu, des années auparavant. Il sortit de son sac le paquet préparé par sa mère et l’ouvrit. Il déposa un fruit sec, un petit bâtonnet parfumé, une broche en os sculpté et entonna la prière rituelle demandant aux anciens de veiller sur eux encore. Puis il reprit sa route, gravissant la colline, en quête des herbes du rêve. Il s’égara un peu jouant avec des insectes volants et des sauterelles. Il finit toutefois par trouver ce qu’il était venu chercher et suivant les conseils de sa mère, arrivé au sommet de la colline, il profita de la présence d’un arbre séculaire pour s’arrêter à l’ombre et méditer. Amani ferma les yeux et essaya de caler sa respiration sur les sons ambiants, l’air. Il se concentra, le temps sembla ralentir…Amani laissa son esprit voguer. Pendant son voyage, alors qu’il traversait une zone noire et vide, il crut voir une larme tomber et se figer dans l’obscurité muette. Qui pleurait ici ?

Un bruit d’ailes sortit brusquement Amani de sa torpeur. Le ciel rougeoyait, une nuée de passereaux le traversait. Combien de temps était-il resté ici ? La faim le tiraillant, il attrapa son repas dans son sac et commença à manger les boulettes froides de légumineuses. Il regarda à nouveau dans la direction des oiseaux. De la poussière s’élevait à plusieurs kilomètres de là, en direction du village. Les augures songea Amani…et il va bientôt faire nuit et ma gourde est vide. Il entreprit de rentrer au plus vite et redescendit de la colline, en marchant vite. Au loin, la poussière reflétait le soleil, rougeoyante. On aurait dit des cendres incandescentes qui s’élevaient vers les hauteurs. Amani accéléra le pas. C’est alors que son œil fut attiré par une lueur verte au loin. Une bille verte était apparue dans le ciel maintenant, étincelante comme les écailles d’un serpent. Encore quinze minutes de marche et je serai arrivé à la maison pensa Amani. Une inquiétude lui tordait inexplicablement les entrailles, tout cela ne lui disait rien qui vaille au fond de lui mais il ne pouvait se l’expliquer. Il arriva au village alors que le soleil déclinait encore. La poussière au loin paraissait plus opaque, le sol tremblait légèrement sous ses pieds. Amani courut vers Léandra.

– Mère ! Mère ! Que se passe-t-il ? cria-t-il.

– La troisième lune est là Amani, les Angkors arrivent.

– Les Angkors ? Qu’est-ce que c’est Mère ?

Amani remarqua que sa mère avait enfilé ses habits de fêtes et mis tous ses bijoux. Ses yeux étaient cerclés d’un maquillage noir et ses lèvres teintes de rouge. Les bracelets teintaient à ses poignets lorsqu’elle ouvrit la porte de la cahute.

– Où est Ompa ? S’inquiéta Amani.

– Il est là, regarde, il arrive.

Amani se posta sur le seuil de la maison. Son père arrivait, en effet. Enfin. Il portait au côté un objet des ancêtres, en forme d’équerre, fait d’un matériau argenté luisant avec des tubes creux d’un côté. Amani courut vers lui.

– Père, que se passe-t-il ? Mère parle des Angkors qu’est-ce que c’est ? Est-ce que c’est la troisième lune ?

– En partie Amani, la troisième lune fait peur aux Angkors. Alors ils courent sans réfléchir.

Tout en répondant aux questions de son fils, Ompa se dirigeait vers Léandra.

Un bruit terrible se fit entendre, comme des milliers de sabots foulant la terre de la steppe. Dans le ciel, l’astre vert grossissait à vue d’œil. Alors qu’il aurait dû faire nuit maintenant, le monde était baigné d’une étrange lumière verte. Le sol vrombit sous les pieds du jeune garçon.

– Tu as ramené les herbes Amani ? demanda Ompa.

– Oui Père, répondit Amani, laissant paraître l’angoisse dans sa voix. Ils foncent vers nous c’est cela ?

Son père ne répondit pas et commença à préparer une décoction d’herbes du rêve.

– Pourquoi ne partons-nous pas ? demanda Amani.

– Cela ne servirait à rien, répondit Léandra. Amani vit une larme perler au coin d’un de ses yeux.

– Tiens, bois cela Amani, ordonna son père, en lui tendant la décoction.

Amani, les larmes aux yeux, s’exécuta. Par la porte ouverte, il distinguait maintenant les silhouettes de créatures inconnues, massives, noires comme l’ébène, cornues, les naseaux fumants, qui couraient, fonçant littéralement vers le village. Elles étaient légion et poussaient des beuglements inquiétants, d’angoisse ou de rage, Amani n’aurait su le définir. La poussière commençait à envahir la maison, comme une nuée de paillettes vertes. La cahute même tremblait littéralement à présent, suivant le rythme de la terre. Ompa prit l’arme des ancêtres dans sa main droite et entonna une litanie. Sa voix était si belle…Amani eut juste le temps de reconnaître le « Dernier chant », celui de ceux qui ne reviendront pas ici. Léandra prit Amani dans ses bras, une dernière fois. Ses paupières devinrent lourdes…Puis le silence résonna dans l’obscurité.

La dernière heure

Publié: 2 février 2022 dans Ecriture

Un essai personnel dans le cadre d’un petit concours d’écriture dont le thème était « horrifique ».

Ce matin ils ont fermé la porte mais moi, je sais comment sortir. J’ai creusé un trou avec le manche d’une cuillère et mes ongles, un peu chaque jour. Il m’a soufflé l’idée quand la lumière s’est éteinte, un mois auparavant et j’ai commencé aussitôt à creuser parce que j’ai peur de le contrarier. Parfois, il me sourit dans le miroir avec ses dents pointues. Alors j’ai suivi son idée. J’ai dû arrêter quand mes mains saignaient. Ou quand la nurse arrivait. La nurse, c’est comme ça qu’ils l’appellent. Je trouve ça un peu ridicule, pourquoi nurse et pas infirmière ? Ils nous prennent pour des enfants malades et stupides, tant pis pour eux. Tic-tac j’entends la pendule du réfectoire depuis ma chambre. Tic-tac. Encore 180 minutes et ils éteindront la lumière. Mais moi, je n’ai pas peur du noir. Non, je n’ai pas peur. Je serre Orson contre moi. Orson est un petit oiseau en peluche dans lequel j’ai caché un réveil. Tic-tac. Ce son doux et régulier me rassure, je cale mes battements de cœur dessus. Tic-tac, tic…tac. Ne t’en fais pas Orson, ils ne prendront pas notre cœur.

Comme chaque jour la sonnerie retentit à huit heures tapantes. Toujours ce vieux bip prolongé et rouillé, même la cloche a l’air malade ici. J’ai vaguement envie de tousser. Je jette un œil à la vitre de ma cage : je suis toujours aussi pâle et maigre, j’ai l’air d’un vieux mouchoir fripé avec des cheveux noirs filasse et deux petits yeux foncés. Nous nous alignons chacun devant nos chambres respectives, le long du grand couloir. On les appelle « cages » entre nous quand on a l’occasion de discuter ensemble, ce qui est rare. Je compte les carreaux du sol en damier, noirs et blancs. Je me demande souvent si mon univers est vraiment noir et blanc ou seulement gris. La nurse dit qu’il ne faut pas s’en faire et prendre ses médicaments, dans quelques jours ça ira mieux. D’ailleurs la voilà qui arrive et qui nous les distribue : une rose et une verte pour moi, pour calmer les nerfs et chasser les idées sombres. Tout ce que je sais c’est qu’effectivement, pendant deux heures, je ne penserai à rien.

10h. Je sais déjà que cette journée va ressembler aux autres. Depuis combien de temps suis-je ici ? Un an ? Deux ans ? Je ne saurais dire. On m’a mise là après l’incident c’est tout ce dont je me rappelle. L’incident. Je le revois parfois en rêve : il y a cette petite blonde qui me sourit. L’air est frais, nous sommes au mois de novembre. Ma mère est partie travailler. Mon père ? Ça fait longtemps qu’il a quitté la maison. Je regarde les murs du salon avec leur papier peint décoloré, j’ai vite fait le tour du petit appartement au deuxième étage de l’immeuble gris. Je sors pour aller jouer avec les enfants du quartier. Léa est en bas. Le garçon aussi. Je ne l’aime pas lui.

11h. Le docteur passe nous examiner, une fois par mois. Il est là aujourd’hui. Il prend ma tension, m’ausculte. Il a les cheveux grisonnants sur les tempes, le regard humide d’un vieil homme fatigué, des moustaches démodées, de grosses mains calleuses. Sa blouse le rend gris comme les murs, elle devait être blanche à l’origine mais elle a perdu son éclat avec le temps. A chaque fois, avant de repartir, il me jette un vague coup d’œil compatissant ou un peu coupable, je ne saurais dire. En tout cas il n’a pas l’air de me soigner beaucoup. A quoi sert-il celui-ci ? Il remet un papier à la nurse et se dirige vers un autre enfant. Elle lit la feuille et vient me voir : « Allez Jenny, on continue les pilules encore deux semaines. Il faut que tu te décides à parler au Docteur tu sais ». Chaque mois c’est la même chanson. Que je lui dise quoi au juste ? « Bonjour Docteur, je suis guérie, je voudrais sortir, merci ? ». Qu’est-ce qu’ils attendent ?

12h. Déjeuner au réfectoire. Je m’assieds à côté d’une nouvelle. Elle se tortille sur sa chaise en me voyant arriver. Je lui adresse mon plus beau sourire pour essayer de la rassurer. Cela n’a pas l’effet escompté car elle se lève aussitôt pour rejoindre une autre table. Trop tard, elle aussi va me fuir, les autres ont dû lui parler de moi. Je ne sais pas pourquoi ils me regardent avec des yeux d’animaux en panique dès que je m’approche d’eux alors que je ne veux que discuter, me faire des amis peut-être. Enfin, au bout d’un an, j’ai renoncé. J’ai compris que je n’avais besoin de personne d’autre que moi et ce soir je m’en irai d’ici.

14h. Nous sommes dans la cour, sous la surveillance des hommes en bleu. Ils sont toujours là, prêts à piquer, comme des guêpes de la mauvaise couleur. Ils ne nous parlent pas, ils nous surveillent, inlassablement. Leur vie ne doit pas être passionnante pour faire un travail aussi sinistre. Surveiller des enfants malades dans un établissement fermé sans jamais leur parler. Au moins, ce ne doit pas être fatigant. De temps en temps, un enfant a une crise. Les hommes en bleu lui font une piqûre et l’amènent dans une autre aile pendant quelques jours. Quand il revient il va toujours mieux, il est à nouveau calme. Cela dit, à part nous maintenir au calme je me demande à quoi servent tous ces adultes. Je ne veux pas gâcher ma vie à perdre mon temps ici. Alors j’ai élaboré un plan.

18h. La sonnerie retentit, cette fois pour le repas du soir. Je m’assieds devant un plateau prédisposé sur une des tables. Une vieille plâtrée de pâtes collantes sans saveur et un morceau de viande trop cuite au menu. Comme dit la nurse, « on ne va pas se plaindre, c’est gratuit ».

Après le repas, nous nous retrouvons dans la salle commune, assis sur des tapis bleus délavés au sol, tous en cercle. La nurse trône au milieu, armée d’un bouquin. Elle annone un conte, comme d’habitude. Un conte qui explique ce qui arrive aux enfants qui ne mangent pas leur soupe ou qui ne sont pas sages. Les plus petits pleurent à la fin. On nous donne à nouveau des médicaments. Je sais que la pilule verte aide à dormir, je la glisse discrètement dans une de mes poches.

21h. Allongée dans mon lit je fixe le plafond lézardé. La vieille applique émet une lumière jaune quand elle est allumée, comme un phare de vieille voiture. Le lit grince un peu quand je bouge. Je n’entends plus le réveil si je m’agite trop alors je reste immobile pour ne pas heurter le silence. Je regarde Orson. Ses yeux sont fixes mais reflètent la lumière quand il y en a, comme s’il était vivant. Je me remémore pour la centième fois le jour qui a précédé mon arrivée ici. Le garçon à côté de Léa qui me pointait du doigt en riant. J’ai tendu Orson vers lui. Pourquoi déjà ? Ma mémoire s’est embrumée. Je l’ai dit un millier de fois au docteur qui a dit à la nurse qu’il ne fallait pas insister pour en savoir plus. Peut-être que je lui ai raconté l’histoire en entier ?

23h. Le dernier homme en bleu passe. J’entends ses pas qui s’éloignent lourdement. Un, deux, trois, ça y est. Je soulève la paillasse dans le coin de ma cage. Le trou passe de l’autre côté de la cloison et donne sur le grand couloir. Si je traverse ce couloir, j’arriverai au réfectoire, puis aux cuisines. Là-bas il y a une grande porte avec « EXIT » inscrit en lettres blanches. C’est parti, je commence à me glisser dans le sol que j’ai creusé. J’ai un peu chaud, je sais que c’est mon unique chance de sortie, je ne dois pas la manquer. Je rampe entre deux tuyaux de canalisation, dans les gravats. Mes mains saignent, mes cheveux sont crasseux, j’ai l’estomac en vrac et mes genoux sont écorchés. Je me contorsionne, je gratte un peu avec ce qui me reste d’ongles et j’accède enfin au couloir. Je serre Orson contre ma poitrine. Tic-tac. Mon cœur, c’est toi. Calme-toi, calme-toi. Je vois la lumière de l’homme en bleu qui bifurque au coin, il est temps. J’avance pieds nus sur le carrelage glacé, emballée dans la grande blouse blanche en papier qui me tient lieu de chemise de nuit. Le couloir me semble interminable mais j’arrive au bout, sans bruit. Je franchis la porte du réfectoire. La lune luit derrière les fenêtres. « Courage » me dit Orson. Malheureusement, je bute contre une chaise qui tombe à grand fracas, résonnant dans la grande salle. Des pas précipités viennent du couloir. Je me réfugie sous une table, tremblante comme une feuille. Quelques secondes s’écoulent. La lumière blanche et froide des néons du réfectoire envahit la salle, me forçant à cligner des yeux tandis que je me retiens de crier. Un homme en bleu reste à l’entrée quelques instants et ne voyant rien, éteint la lumière avant de fermer la porte et de repartir. Mes muscles se relâchent, j’ai froid au cou. Mon pied droit me fait mal à cause de la chaise mais je ne dois pas rester là. Je sors de ma cachette et me dirige vers les cuisines.

Un cri retentit dans ma tête. Non ! J’ai mal, je suis obligée de m’arrêter en attendant que le bruit cesse. Pourquoi crie-t-il si fort ce garçon ? C’est bien lui je reconnais sa voix… Tic-tac, oui Orson je me calme, tu as raison.

Après avoir trouvé mon chemin entre les plans de travail et les fours de la cuisine, je suis devant la grande double porte en bois qui porte l’inscription « EXIT » en grosses lettres. J’appuie de toutes mes forces dessus mais elle refuse de s’ouvrir. Je ne comprends pas, une issue de secours devrait être ouverte, non ? Orson, dis-moi quoi faire s’il te plaît. Je t’en prie ne fais pas le muet maintenant. « Enclenche l’alarme ». L’alarme… je suis obligée d’allumer la lumière pour chercher un boîtier au mur. Il y en a un près de l’extincteur, à gauche de la grande porte. Je brise la vitre qui m’entaille la main gauche, regrettant de ne pas avoir pensé à prendre un objet pour ce faire mais je n’ai guère le temps de m’attarder sur ces détails. L’alarme se met à hurler j’entends des éclats de voix dans le bâtiment. Ma tête recommence aussitôt à me faire mal. Mes pensées sont absorbées par les hurlements de la sirène et du garçon, je n’entends plus Orson, je souffre tellement. Je me roule au sol en tenant ma tête avec mes mains. Non, pas maintenant ! Les larmes coulent sur mon visage. Orson me regarde fixement, je cherche ses battements de cœur. Je ne peux plus bouger, je…

Le garçon a arraché la tête d’Orson avec ses mains. Je sens une immense colère s’emparer de moi. Je me jette sur lui. Qu’est-ce que tu as fait à Orson ? Tu m’as arraché le cœur ! Tu vas voir ce que ça fait ! ». Mes ongles s’allongent et s’enfoncent dans la chair, du sang coule. Puis mes doigts…Je regarde les mains maigres et âgées qui ne sont pas les miennes faire leur sinistre ouvrage. Le garçon se débat mais rien ne m’arrête, j’ai perdu le décompte de mes battements de cœur…Il crie, il crie, Léa aussi. Des gens se bousculent vers nous. Puis c’est le noir, le noir absolu. J’ai si peur dans le noir. Mais pas lui. Je distingue son reflet dans les yeux d’Orson. Il me voit aussi, son visage grimace vaguement avant de me sourire, laissant apparaître une langue verdâtre effilée comme une lame de rasoir.

De grandes mains me saisissent par les bras. J’ai juste le temps d’attraper Orson. Je me débats. « Non, je ne veux pas aller là-bas ! Non ! ». J’essaie de hurler pour couvrir le tintamarre dans ma tête. Un bout d’étoffe bleue passe devant mon visage suivi d’une pointe froide dans mon cou. J’aperçois mon visage qui se reflète dans un objet métallique : la peau blanche comme l’albâtre, les traits creusés, des cernes bleus sous les yeux. Mes cheveux sont tombés depuis longtemps. J’esquisse un vague sourire. Le reflet me renvoie son image : il est là, avec son sourire carnassier, les dents en pointes. Ma main crochue agrippe un poignet que j’essaie de lacérer avec mes griffes mais mes forces m’abandonnent doucement. Les deux hommes en bleus me traînent jusqu’au couloir. Je sens mes forces m’abandonner, mon cœur va s’arrêter c’est sûr. Tic-tac. Orson, tu es là ! Tic-tac, je me calme peu à peu. Nous passons dans l’autre aile du bâtiment. Tiens, un bloc opératoire ici. On m’enferme dans une cellule à côté, capitonnée, non sans m’avoir mise dans une tenue blanche étrange. Je n’entends plus rien, ma vue s’obscurcit lentement…De toute façon, un des hommes en bleu a pris Orson. Je n’ai plus de repères, plus de cœur et demain, ils voleront mon âme. Alors je redeviendrai sage ?